Ils promettent de laver plus blanc que blanc et d’être plus verts que verts. Trop moussants pour être honnêtes, les produits ménagers cachent sous leurs bulles de savon un bon paquet de polluants. Pour éviter d’avoir les mains sales et la nausée en faisant le ménage, suivez notre fée du logis.
Difficile de passer à côté ! Avec ses 12 000 affiches apposées dans les villes de plus de 50 000 habitants et ses multiples incursions publicitaires dans la presse, la nouvelle lessive Le Chat Éco Efficacité fait tout pour se faire remarquer.
« L’écologie, c’est le moment d’en parler moins et d’en faire plus », précise le slogan de la campagne. La marque, qui en 1989, comptait parmi les premières à offrir une lessive sans phosphate, ajoute en guise d’argumentaire : « Tensio-actifs d’origine 100 % végétale et 100 % biodégradables » et « une efficacité même en eau froide ».
Cette nouvelle campagne illustre à merveille le type de communication menée par les entreprises lessivielles depuis des années. Une fois encore, les arguments sont tellement partiels qu’ils frisent le mensonge. « Que veut dire “lessive écologique” ? Une lessive qui n’aurait aucun impact sur l’environnement ou un impact moindre ? s’insurge l’Observatoire indépendant de la publicité. En l’état, aucune lessive ne peut apporter l’assurance d’être totalement indolore pour l’environnement. Comme les voitures, il n’y a pas de “lessive écologique” mais des lessives plus ou moins écologiques. » Le Chat Éco Efficacité parle beaucoup, mais en fait beaucoup moins que prévu. Finalement, Le Chat n’aurait-il pas dû se taire ? Les chiffres nous le diront. Mais il est probable que les consommateurs ont une fois de plus gobé la pastille verte. D’autant que, dans le domaine des produits ménagers, ils ne savent pas trop à quel baril se vouer. Une étude menée ce printemps par le CRÉDOC pour Ecover, révèle que 77 % des Français estiment que l’usage des produits ménagers peut avoir des conséquences sur leur santé (23 % de graves incidents et 54 % une incidence minime). Mais ils continuent pourtant de choisir leurs produits en fonction de l’efficacité (79 % des personnes interrogées) et du prix (53 %). L’environnement n’est un critère d’achat que pour 45 % d’entre eux. D’ailleurs, seuls 44 % examinent la liste des ingrédients. « On observe un phénomène exactement inverse de celui qui se pratique dans l’alimentaire, explique Franck Lehuede, du CRÉDOC. 79 % des Français n’ont jamais recherché d’information sur les risques santé liés à l’usage des produits nettoyants ménagers. Il faudrait peut-être une crise de la lessive folle pour faire changer les mentalités. »
Monsieur Propre, quelle tache !
Une bonne grosse catastrophe, voilà peut-être ce qui ferait couper la tête de monsieur Propre et lâcher les flacons de Javel. « Les produits ménagers comportent trois niveaux de risque, précise Yannick Martin, médecin environnemental du bureau d’étude Vitair. Ils sont dangereux et très impactants sur l’environnement au moment de leur production dans les usines. Utilisés quasi quotidiennement, leurs milliers de substances difficilement identifiables ruinent notre santé. Rejetés dans l’évier, ils souillent les eaux et demandent des traitements de plus en plus sophistiqués que les stations d’épuration ne parviennent plus à fournir. »
Si l’on ne connaît pas précisément l’impact des produits nettoyants sur l’environnement, s’il n’existe pas encore d’études globales sur le sujet, certains de leurs composants ont déjà défrayé la chronique. Les phosphates, interdits dans les lessives textiles depuis le 1er juillet 2007 mais encore bien présents dans le reste des produits ménagers (ils entrent dans la composition des tablettes de lave-vaisselle à hauteur de 45 %) continuent d’asphyxier nos cours d’eau. Ces composés ont pour intérêt, sur un plan domestique, de maintenir un milieu basique nécessaire à l’efficacité des détergents et d’éviter les phénomènes de redéposition. En gros, ils empêchent que la saleté une fois décollée de notre assiette ne se redépose dessus.
Mais pour l’environnement, les phosphates sont un véritable désastre. Dans les rivières, ces composés (dont la moitié retrouvée dans les cours d’eau provient des produits ménagers) sont à l’origine de la prolifération d’algues et des risques d’eutrophisation. Le principe ? Des lentilles vertes se développent à fleur d’eau, obstruent le passage de la lumière, empêchent l’oxygénation et, du coup, asphyxient toute vie aquatique.
Autres ennemis déclarés de l’environnement, les tensioactifs. Environ 10 millions de tonnes sont utilisées chaque année dans le monde (dont 2,5 millions en Europe). Dans les produits ménagers, ce sont eux qui font la majeure partie du boulot. Lorsqu’ils sont issus du pétrole, ils sont difficilement dégradables et on les retrouve parfois dans l’eau potable ou dans l’écume mousseuse des vagues. 90 % du littoral méditerranéen en a fait les frais. Ces puissants dégraissants ont rongé la cire protectrice des aiguilles de pin laissant au sel marin le champ libre pour agresser les arbres. Résultat : des forêts de pins brûlés au troisième degré. Mais ce n’est pas tout. « Les éthoxylates d’alkylphénol, utilisés comme tensioactifs dans les produits nettoyants, sont fortement soupçonnés de déclencher des perturbations endocriniennes, soulignent Élisabeth Laville et Marie Balmain dans leur ouvrage « Achetons responsable ! » (aux éditions du Seuil).
De nombreux poissons mâles de la rivière Aire, en Angleterre, se trouvant en aval des eaux rejetées par une usine de traitement contenant des éthoxylates d’alkylphénol en provenance de l’industrie textile se sont féminisés : leur taille et leur croissance étaient réduites et on trouvait des cellules ovipares dans leurs testicules. »
Parmi les autres trublions de la biodiversité, citons les agents de chélation anticalcaires comme l’EDTA (acide éthylène-diamine-tétra-acétique) qui relâchent dans le milieu aquatique des métaux lourds. Mais aussi les composés alcalins qui modifient le pH de l’eau ou encore les azurants optiques que l’on trouve encore dans de nombreuses lessives. Ces derniers « sont souvent des dérivés du stilbène qui ne sont pas totalement éliminés lors du rinçage du linge et sont toxiques pour la vie aquatique », précise Élisabeth Laville qui pointe là le problème majeur des produits ménagers : de plus en plus compliqués, leurs cocktails d’isothiazolinone, de sodium benzoate, de polycarbonates, d’alcanolamides… devient intraitable. « Les agents d’entretien contiennent 30 à 40 substances différentes et un nombre de molécules impressionnant, détaille lors du dernier café-conso organisé par Nature & Découvertes (téléchargeable sur leur site), Marie-France Corre qui a dirigé pendant dix-sept ans les tests produits de l’UFC-Que Choisir. Comme on en utilise tout le temps, les rejets dans les eaux usées sont permanents. Si bien qu’au final, les eaux contiennent toujours quelques nanogrammes de substances chimiques. »
« Seule la moitié des eaux usées est traitée avant son retour dans les cours d’eau, confirme Gaëlle Bouttier-Guérive chargée de mission au WWF. Les résidus toxiques des détergents restent dans le cycle de l’eau. Ils sont donc retrouvés dans l’eau de pluie comme dans la mer. Les poissons et les cétacés, notamment, sont touchés dans leur chair par ces produits qui perturbent leur développement et leur reproduction. Conséquence : depuis 1970, 50 % des populations des espèces d’eau douce ont disparu. »
Risquer sa peau pour une vaisselle…
Pour la santé, les produits ménagers ne sont pas non plus très nets. « Entre cosmétiques et produits d’entretien, il n’y a pas de grandes différences, explique Marie-France. On a des compositions assez similaires et si l’on ne s’applique pas du produit vaisselle sur le visage, on s’en met sur les mains (selon l’étude du CRÉDOC, seulement 27 % de la population met des gants pour utiliser les produits ménagers). Le risque de passage des substances dans le sang est donc important. Un produit d’entretien ça se respire aussi, et comme on l’utilise en quantité importante, ça le rend, à plusieurs égards, encore pire que les cosmétiques. » Comme les crèmes pour le visage, celles à récurer peuvent causer des allergies, développer des irritations, brûler la peau.
À long terme, cette intoxication chronique peut atteindre les systèmes nerveux, respiratoire, digestif et même favoriser des tumeurs cancéreuses. Les substances les plus connues se nomment formaldéhyde (un conservateur bon marché), borates (agents de blanchiment), NTA (composant qui améliore la performance des formules) et sont toutes soupçonnées d’être à l’origine de certains cancers. « Ce qui est en cause aujourd’hui, explique Élisabeth Laville, ce sont les effets non immédiats sur la santé et l’environnement de certains ingrédients auxquels nous sommes exposés de manière régulière en petites quantités. Ce sont ces effets insidieux qui font débat aujourd’hui sur le marché de l’hygiène-beauté. Les muscs artificiels par exemple, qui parfument certains produits, sont persistants dans l’environnement et capables de s’accumuler dans l’organisme. Ils sont soupçonnés de causer des perturbations hormonales et des maladies du foie. »
Les effets de la bioaccumulation, voilà le boomerang qui ne devrait pas tarder à nous revenir en pleine figure. « En médecine, lorsque l’on prescrit plus de trois médicaments, on ne connaît pas les interactions possibles, explique Yannick Martin, médecin environnemental du bureau d’études Vitair. Avec des milliers de substances présentes dans les produits ménagers, il est impossible de modéliser un scénario. Aujourd’hui, on estime que 80 mg de produits dangereux entrent chaque année dans les foyers. On risque d’en payer les pots cassés d’ici à une dizaine d’années. »
D’autant que dans le lot, certaines substances autorisées sont plutôt préoccupantes. La réglementation REACH, qui prévoit d’éliminer progressivement celles identifiées dangereuses dans l’Union européenne a déjà répertorié 100 000 substances chimiques mais ne pourra interdire les produits dangereux que d’ici dix ou quinze ans. « Il y a un engorgement terrible, déplore Alain Germond, directeur général de Salveco, et il va falloir encore du temps pour interdire les substances alarmantes. Actuellement, entre 3 000 et 5 000 substances CMR – à caractère cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction – sont identifiées mais restent toujours commercialisées. »
Chiffons verts et cartons rouges
Pas brillant, ce bilan de nos produits ménagers. Mais comment éviter de lentement s’intoxiquer ? Comment se repérer dans les rayons ? Difficile de donner des recettes. Car, en matière de pédagogie sur l’étiquette, les marques lessivielles ne font pas vraiment d’effort. Il faut dire que la loi ne les oblige pas à grand-chose. Le règlement européen sur les détergents (n° 648/2004) impose aux fabricants d’indiquer cinq catégories de produits : les tensioactifs, les azurants optiques, les parfums, les enzymes, les désinfectants et de préciser leur pourcentage en poids selon des fourchettes assez larges (moins de 5 %, compris entre 5 et 15 %, entre 15 et 30 % ou plus de 30 %).
S’ils sont utilisés à des concentrations de plus de 0,2 % (du poids total), certains composants doivent également figurer sur l’emballage. C’est le cas des phosphates, des phosphonates, des tensioactifs anioniques, des tensioactifs cationiques, des tensioactifs amphotériques, des tensioactifs non ioniques, des agents de blanchiment oxygénés, des agents de blanchiment chlorés, de l’EDTA et de ses sels dérivés, de l’acide nitrilotriacétique (le NTA) et de ses sels dérivés, des phénols et phénols halogénés, du paradichlorobenzène, des hydrocarbures aromatiques, des hydrocarbures aliphatiques, des hydrocarbures halogénés, du savon, des zéolites, des polycarboxylates.
Pour les fragrances allergènes et les conservateurs, c’est la dénomination INCI (comme les cosmétiques) qui doit figurer sur l’étiquette s’ils dépassent 0,01 % du poids total. « Ces obligations ne rendent pas le produit lisible pour autant, s’insurge Peter Malaise, concept manager chez Ecover, leader sur le marché des détergents écolos. Qui aujourd’hui, sans avoir suivi une solide formation de chimiste, est capable de comprendre ce qui y est écrit ? Il faudrait que l’on impose aux fabricants de mentionner la liste complète des ingrédients, comme nous le faisons depuis plus de trente ans. »
Coup de balai sur les labels
En attendant, les consommateurs peuvent se tourner vers les labels. Dans le domaine des produits ménagers, il est important de distinguer les mentions autoproclamées par les industriels (du genre Cleanright, Sustainable Cleaning) et les autres. De sérieux, il n’en existe que trois, bien qu’aucun ne remporte d’adhésion massive : l’Écolabel européen, la certification Écocert et la mention Nature & Progrès. Le plus connu est le label européen. Il peut être accordé aux détergents textiles, aux liquides vaisselle, aux détergents pour lave-vaisselle, aux nettoyants universels et nettoyants pour lave-vaisselle et aux produits de nettoyage.
Pour les lessives textiles par exemple, l’Écolabel interdit l’utilisation des ingrédients classés R40, R45, R46, R49, R50-53, R51-53, R59, R60, R61, R62, R63, R64, R68, les éthoxylates d’alkylphénol et leurs dérivés, les nitromuscs, les muscs polycycliques, l’EDTA, le NTA, les sels d’ammonium quaternaire non biodégradables et les agents conservateurs, classés R50-53. Les phosphonates non biodégradables en aérobiose ne doivent pas excéder 0,5 g par lavage, les phosphates 25 g par lavage. Toute substance parfumante doit être fabriquée et/ou traitée selon le code de bonne pratique de l’Association internationale des matières premières pour la parfumerie (IFRA)… De plus, le produit doit répondre à des critères de performance (il doit laver aussi bien que son homologue conventionnel) et d’écologie (réduction des emballages, procédés de fabrication propres…).
Il n’en demeure pas moins que, pour les puristes du naturel, ce label est trop permissif, d’autant qu’il est prévu qu’il autorise encore plus de chimie.
« L’écolabel cible 30 % du marché actuel, regrette Peter Malaise, dont la marque a choisi de ne pas y adhérer. La part de marché actuelle des lessives écologiques ne dépasse pas les 0,5 %. On va inéluctablement vers une labellisation de plus en plus au rabais. » Pour les moins exigeants, ce label est une première marche vers une meilleure identification des produits propres. Parmi les marques qui ont choisi la fleur bleue sur leurs produits : L’Arbre vert, Atout vert, Prim’vert, Rainett, Naturella, Chêne vert, Maison propre, Casino, Carrefour, Cora, Champion, Monoprix, Auchan, Système U…
De l’huile de coude, bio si possible
D’autres préfèrent se tourner vers la certification Écocert qui distingue les détergents écologiques n’utilisant aucun ingrédient issu de la pétrochimie. Son cahier des charges n’autorise que les tensioactifs d’origine renouvelable, les parfums et les colorants d’origine naturelle. Les ingrédients d’origine végétale ne doivent pas utiliser des espèces menacées ni génétiquement modifiées. Les procédés de fabrication sont également pris en compte et doivent être respectueux de l’environnement.
Chez Nature & Progrès, ce sont à peu près les mêmes exigences bien que l’association autorise « pour des quantités définies, un conservateur d’origine chimique » mais, en revanche, exige que toutes les matières végétales utilisées soient bio. Aujourd’hui, six fabricants de nettoyage ont reçu la mention Nature & Progrès et moins d’une trentaine d’entreprises la certification Écocert, parmi lesquelles le laboratoire Alvend, la SA Famille Mary (qui propose des produits pour la maison à partir des produits de la ruche), Salveco (qui cumule les labels pour ses produits Atout vert), Kitz, Sodasan (marque allemande), Druide (consœur canadienne), Fleurance… Là encore, ce label connaît des détracteurs. « Un couteau qui coupe la viande coupe aussi les doigts, s’amuse Peter Malaise. Autrement dit, il est impossible de proposer des produits efficaces sans qu’ils n’aient un impact sur l’environnement. Chez Ecover, nos tensioactifs sont entièrement naturels, fabriqués à partir d’huile de colza, de sucre et de levure candida. Nos formules sont biodégradables rapidement et complètement à 28 jours – alors que la loi n’exige de tester que les tensioactifs et qu’ils soient biodégradables à 60 % – mais nous ne pouvons pas complètement nous passer de la chimie si nous voulons être efficaces. Dans l’ensemble de notre gamme, on trouve 1,8 % de molécules issues de la pétrochimie. » Alors que choisir ? L’efficacité ou le naturel ? « La clé pour rendre les produits naturels opérants, souligne Marie-France Corre, c’est d’utiliser davantage d’huile de coude.
De frotter au savon de Marseille les taches les plus coriaces avant d’entasser le linge dans la machine, par exemple. »
Biologique ou pas, l’huile de coude, Marie-France ?
Détergents : sales et méchants 10 décembre 2009
Dossiers- Par Hélène Binet dans Quelle santé
http://quelle-sante.com/article/dossier-detergent-non-bio.html