Un déclin régulier depuis 30 ans
Il y a peu, les enfants jouaient dehors (donc, couraient beaucoup) et consommaient le goûter de maman. Mais c’est du passé. Aujourd’hui, télévision et jeux vidéo leur ont fait perdre le goût de l’effort. Le grignotage a fait le reste. Constatation lucide d’un professeur de sport…
Mon expérience de professeur d’éducation physique m’a amené à une constatation à la fois étonnante et prévisible pourtant si l'on observe la transformation des modes de vie, mais pour autant indiscutable sur l’évolution de la condition physique de nos enfants.
Chaque année, alors que j’utilisais mes barèmes de l’année scolaire précédente pour effectuer l’évaluation du cycle de course à pied, je me rendais régulièrement compte de l’inadéquation de ceux ci. En effet, le nombre de notes en dessous de la moyenne m’interpellait, d’autant que celles-ci étaient établies de manière statistique en prenant en compte l’ensemble des résultats obtenus par la population scolaire de mon établissement l’année précédente. Le problème ne pouvait donc se situer à ce niveau, car je prenais bien en compte les caractéristiques des élèves que j’avais à évaluer.
Dans un premier temps, ma réaction fut d’associer cela à un événement passager, un mauvais millésime en quelque sorte. Puis, au fil des années, force a été de constater à chaque fois que le phénomène se répétait et qu’il n’était dû ni au hasard ni à une classe d’âge plus faible que la précédente. L’idée d’analyser cette situation découverte sans vraiment le vouloir m’apparut alors comme un évidence, d’autant qu’après 24 années passées au sein du même établissement scolaire, j’avais à ma disposition un incomparable outil d’observation.
Les caractéristiques de la population n’ont pas varié en près d’un quart de siècle ! Mêmes origines rurales et viticoles, grande stabilité qui nous fait retrouver les enfants de nos élèves génération après génération. On peut donc raisonnablement penser que les phénomènes constatés ont de fortes chances de refléter assez bien l’évolution de la condition physique des élèves d’une manière générale depuis ces dernières années.
Quelles étaient ces constatations ?
Une condition physique générale qui se détériore année après année, reflet d'un état de santé et de forme physique qui régresse.
Il y a vingt ans, pour avoir la note maximale (20 / 20) chez les garçons par exemple, il fallait parcourir 5 000 m en 20 minutes, soit 15 km / h. Même si l’excellence doit rester rare, un certain nombre d’élèves étaient cependant capables de réaliser cette performance. Aujourd’hui en courant à la même allure pendant 8 minutes, c’est-à-dire 2 000 m on obtient, 19,5 / 20, et ceux qui obtiennent cette note aujourd’hui ne sont pas légion ! Cet écart est énorme, j’ai du m’y reprendre à plusieurs reprises dans mes calculs afin d’être bien certain de ne pas m’être trompé.
Il y a donc là indiscutablement une chute de la condition physique des enfants. Ceux-ci étant de moins en moins capables de soutenir un effort d'intensité moyenne (80 à 90 % de la VO2 max (1) environ) pendant un temps donné. D'ailleurs, les tests d'évaluation de cette dernière, que nous effectuons systématiquement en début de scolarité, connaissent année après année une chute régulière et inexorable des résultats moyens, reflet incontestable d'un état de forme qui se détériore.
Coordination et souplesse en baisse
Cette situation, hélas, ne s’applique pas qu’aux activités sollicitant fortement la condition physique. La coordination motrice des enfants est elle aussi en forte baisse. Ceci se remarque à l'évidence dans les sports engageant les habiletés gestuelles où le même constat peut être fait.
Lorsqu’il s’agissait auparavant d’enseigner le hand-ball par exemple, on constatait une grande adresse des garçons habitués à la campagne, de par leur mode de vie, à lancer, attraper grâce aux jeux qu’ils pratiquaient spontanément.
Seules, les filles devaient faire l’objet d’un travail d’éducation motrice très particulier afin de leur permettre de rattraper ce retard essentiellement dû aux différences d’éducation. Aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver un nombre, qui va sans cesse croissant, de garçons présentant de gros problèmes de coordination et ne sachant plus lancer ou attraper une balle à l’instar des filles il y a quelques années. Le travail d’éducation motrice réservé auparavant à une minorité sédentaire est maintenant une nécessité absolue pour la majorité des élèves d’une classe de sixième.
Enfin, ces régressions s'accompagnent également d'effets néfastes sur des qualités comme la souplesse, l'agilité et le tonus de nos chères têtes blondes. Cela se constate particulièrement en gymnastique sportive où il devient rare de voir un enfant réaliser facilement ce qui il y a peu était très ordinaire : monter sur une barre asymétrique, s'y balancer, tourner autour ou encore se balancer bras tendus sur des barres parallèles…
Les gestes auparavant acquis naturellement par un enfant qui savait monter aux arbres, s'accrocher aux branches, sauter un ruisseau sont désormais synonymes d'exploits pour les jeunes d'aujourd'hui.
Leur manque de tonus musculaire, l'absence de prise de risque et le surpoids sont des handicaps bien trop grands lorsqu'il s'agit d'évoluer dans un espace qui ne s'apparente plus à celui du simple terrien.
Le mode de vie a basculé
Comment expliquer ces transformations qui affectent nos jeunes générations ?
Ces déficits trouvent leurs explications dans l’évolution des modes de vie et des habitudes alimentaires. En effet, la multiplication des jeux électroniques, les heures toujours plus nombreuses passées devant le petit écran ou les ordinateurs ont un effet désastreux sur la condition physique de nos enfants, même ruraux, qui savent de moins en moins utiliser leur corps. Au lieu, une fois le temps consacré aux travail scolaire terminé, de sortir afin de retrouver les copains pour une partie de football sur la place du village, de jouer aux cow-boys et aux Indiens ou aux gendarmes et aux voleurs comme le faisaient les générations précédentes, c'est devant l'écran de la télévision, de l'ordinateur ou de la « game-boy » qu'ils passent l'essentiel de leurs loisirs. Ces activités étant souvent couplées à un grignotage intempestif.
Grignotage et malbouffe
D'ailleurs, il faut voir dans les modifications des comportements en matière de nutrition la seconde raison de ces transformations. Celles-ci ont un impact spectaculaire entraînant un surpoids de plus en plus généralisé. Il est fréquent aujourd'hui de constater que les goûters des enfants ont eux aussi connu des évolutions surprenantes. La gourde d'eau ou de sirop a laissé la place à la canette de boisson gazéifiée au cola et à ses 25 sucres. Le bon vieux sandwich n'est plus qu'un vague souvenir. Il est tellement plus commode pour les parents de donner à leurs enfants de quoi s'acheter quelque chose au distributeur ou de glisser dans le cartable un de ces nombreux goûters tout faits (quand ce n'est pas un paquet de gâteau apéritif !) plutôt que de préparer à l'avance à la maison.
Les ravages commis par ces modes d'alimentation dont les vertus diététiques ne leurrent personne malgré les efforts déployés par leurs concepteurs en terme de communication, se constatent au quotidien lorsque l'on est immergé dans le milieu scolaire.
Il y a 15 à 20 ans, ce phénomène était encore marginal. Un ou deux enfants maximum pour une classe de 25 élèves étaient concernés par ces problèmes de poids. De nos jours, pour un même nombre, il touche régulièrement 4 à 5 élèves atteints d’obésité plus ou moins sévère, et près d’un tiers de la population de mon établissement dans son ensemble est affecté d’une surcharge pondérale visible.
Un phénomène rapide
Cette dégradation est d’autant plus remarquable et spectaculaire lorsqu’il m’est donné d’observer les enfants des élèves que j’ai pu avoir par le passé. Là, point de justifications génétiques à ces phénomènes ! L’atavisme n’existe pas, lorsque les parents, sportifs émérites et affûtés à l’âge de leur progéniture ne peuvent que constater la condition physique déplorable de leurs bambins et tiennent un discours désespéré alors qu’ils sont tout de même les premiers concernés et responsables de cette régression.
J’ai moi-même trois enfants de 7, 9 et 14 ans et lors d’un samedi vaqué par l’école primaire, j’ai amené mon fils de 9 ans, scolarisé en CM1, avec moi en classe avec des élèves de sixième âgés de 11 ans. C’était en début d’année, un test sur 2 000 m était prévu ce matin-là. Il a réalisé, sans aucun entraînement, le meilleur temps de la classe, reléguant le second à plusieurs longueurs et pourtant celui-ci se situe parmi les tout meilleurs de toutes les classes de sixième. Il n'est pas normal qu'un enfant de primaire, même fils de professeur de sport, soit à ce point au-dessus du niveau d'élèves âgés de deux ans de plus que lui !
Quels enseignements peut-on tirer de ce constat ?
Eh bien qu’un enfant nourri sainement (aliments issus en grande partie de l’agriculture biologique ou de notre propre production) et ayant une activité physique régulière sans être forcément intensive (pratique du football en club, vie à la campagne) a une condition physique largement supérieure à l’ensemble d’une tranche d’âge qui lui est supérieure de deux ans.
Et à cet âge, les différences d’une année à l’autre sont significatives, ce qui situe encore mieux l'écart que cela représente. D'ailleurs maintenant, que ce soit chez les garçons ou les filles, un enfant qui a une pratique physique quelle qu'elle soit en dehors de chez lui (club ou association) a un niveau de condition qui se remarque tout de suite.
Bruno Heubi.
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Entraîneur hors stade niveau 4, professeur d'éducation physique et sportive agrégé, titulaire du Brevet d'Etat d'athlétisme 1er degré et de tous les diplômes fédéraux hors stade délivrés par la FFA, Bruno est une référence incontournable en matière d'entraînement à l'ultra. Bruno Heubi est également cent-bornard international de haut niveau, notamment arrivé premier français au championnat du monde de 100 km 2002 et sélectionné pour le championnat d'Europe 2003 à Moscou. Il entraîne Pascal Fétizon, qu'il a mené au titre mondial en 2000 et européen en 2002. Voir les conseils de Bruno Heubi sur www.ultrafondus.com.
1. La VO2 max est la consommation maximale d'oxygène (VO2 max, V = volume, O2 = dioxygène et max = maximale), connue également comme capacité maximale aérobie, est un mot-clé très employé, notamment dans les sports d'endurance.
Pour en savoir plus : http://perso.club-internet.fr/theulle, excellent site réalisé par trois élèves de première.
extrait de Biocontact n°134 (mars 2004) dossier Sport